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Vous avez raison, vieillard, de n'en pas douter. Comme son commerce ressemble au mien, Spiagudry fait
tout ce qu'il peut pour me nuire.
Oh! maître, ne le croyez pas! Ou, s'il en est ainsi, c'est que cet homme ne vous a pas vu comme moi,
entouré de votre gracieuse femme et de vos charmants enfants, admettant les étrangers au bonheur de votre
foyer domestique. S'il eût joui, comme nous, de votre aimable hospitalité, maître, ce malheureux ne pourrait
être votre ennemi.
Spiagudry achevait à peine cette adroite allocution, quand la grande femme, jusqu'alors muette, se leva, et dit
d'une voix aigrement solennelle:
La langue de la vipère n'est jamais plus venimeuse que lorsqu'elle est enduite de miel.
Puis elle se rassit, et continua de fourbir ses pinces, travail dont le bruit rauque et criard, remplissant les
intervalles de la conversation, faisait, aux dépens des oreilles des quatre voyageurs, l'office des choeurs dans
une tragédie grecque.
Cette femme est folle, vraiment! se dit tout bas le concierge, ne pouvant s'expliquer autrement le mauvais
effet de sa flatterie.
Bechlie a raison, docteur aux blonds cheveux! s'écria le bourreau. Je vous tiens pour langue de vipère, si
vous continuez de justifier plus longtemps ce Spiagudry.
À Dieu ne plaise, maître! s'écria celui-ci; je ne le justifie nullement.
À la bonne heure. Vous ignorez d'ailleurs jusqu'où il pousse l'insolence. Croiriez-vous que l'impudent a la
témérité de me disputer la propriété de Han d'Islande?
De Han d'Islande! dit brusquement l'ermite.
Eh, oui. Vous connaissez ce fameux brigand?
Oui, dit l'ermite.
XII 74
Han d'Islande
Eh bien, tout brigand revient au bourreau, n'est-il pas vrai? Que fait cet infernal Spiagudry? il demande
qu'on mette à prix la tête de Han.
Il demande qu'on mette à prix la tête de Han? interrompit l'ermite.
Il en a l'audace; et cela uniquement pour que le corps lui revienne, et que je sois frustré de ma propriété.
Voilà qui est infâme, maître Orugix; oser vous disputer un bien qui vous appartient si évidemment!
Ces mots étaient accompagnés du sourire malicieux qui effrayait Spiagudry.
Le tour est d'autant plus noir, ermite, qu'il me faudrait une exécution comme celle de Han pour me tirer de
mon obscurité, et me faire la fortune que ne m'a pas faite celle de Schumacker.
En vérité, maître Nychol?
Oui, frère ermite, le jour de l'arrestation de Han, venez me voir, et nous immolerons un pourceau gras à
mon élévation future.
Volontiers; mais savez-vous si je serai libre ce jour-là? D'ailleurs vous aviez tout à l'heure envoyé au
diable l'ambition.
Eh sans doute, père, quand je vois que, pour détruire mes espérances les mieux fondées, il suffit d'un
Spiagudry et d'une requête de mise à prix.
Ah! reprit l'ermite d'une voix étrange, Spiagudry a demandé la mise à prix!
Cette voix était pour le pauvre homme comme le regard du crapaud pour l'oiseau.
Seigneurs, dit-il, pourquoi juger témérairement? Cela n'est pas sûr, peut-être est-ce un faux bruit.
Un faux bruit! s'écria Orugix, la chose n'est que trop certaine. La demande des syndics est en ce moment à
Drontheim, appuyée de la signature du concierge du Spladgest. On n'attend que la décision de son excellence
le général gouverneur.
Le bourreau était si bien instruit, que Spiagudry n'osa poursuivre sa justification; il se contenta de maudire
intérieurement, pour la centième fois, son jeune compagnon. Mais que devint-il lorsqu'il entendit l'ermite, qui
depuis quelques moments paraissait méditer, s'écrier soudain d'un ton railleur:
Maître Nychol, quel est donc le supplice des sacrilèges?
Ces paroles firent sur Spiagudry le même effet que si on lui avait arraché son emplâtre et sa perruque. Il
attendit avec anxiété la réponse d'Orugix, qui acheva d'abord de vider son verre.
Cela dépend du genre de sacrilège, répondit le bourreau.
Si le sacrilège est la profanation d'un mort?
Pour le coup, le tremblant Benignus s'attendit à voir son nom sortir d'un moment à l'autre de la bouche de
l'inexplicable ermite.
XII 75
Han d'Islande
Autrefois, dit froidement Orugix, on l'enterrait vivant avec le cadavre profané.
Et maintenant?
Maintenant on est plus doux.
On est plus doux! dit Spiagudry, respirant à peine.
Oui, reprit le bourreau de l'air satisfait et négligent d'un artiste qui parle de son art; on lui imprime d'abord,
avec un fer chaud, une S sur le gras des jambes.
Et ensuite? interrompit le vieux concierge, contre lequel il eût été difficile d'exécuter cette partie de la
peine.
Ensuite, dit le bourreau, on se contente de le pendre.
Miséricorde! s'écria Spiagudry; de le pendre!
Eh bien, qu'a-t-il? il me regarde de l'air dont le patient regarde le gibet.
Je vois avec plaisir, disait l'ermite, que l'on est revenu à des principes d'humanité.
En ce moment, l'orage, qui avait cessé, permit d'entendre très distinctement au dehors le son clair et
intermittent d'un cor.
Nychol, dit la femme, on est à la poursuite de quelque malfaiteur, c'est le cor des archers.
Le cor des archers! répéta chacun des interlocuteurs avec un accent différent, mais Spiagudry avec celui de
la plus profonde terreur.
Ils achevaient à peine cette exclamation quand on frappa à la porte de la tour.
XIII
Il ne faut qu'un homme, un signal; les éléments
d'une révolution sont tout prêts. Qui commencera?
Dès qu'il y aura un point d'appui, tout
s'ébranlera.
BONAPARTE.
Loevig est un gros bourg situé sur la rive septentrionale du golfe de Drontheim, et adossé à une chaîne basse
de collines nues et bizarrement bariolées par diverses sortes de cultures, pareilles à de grands pans de
mosaïque appuyés à l'horizon. L'aspect du bourg est triste; la cabane de bois et de jonc du pêcheur, la hutte
conique bâtie de terre et de cailloux où le mineur invalide passe le peu de vieux jours que ses épargnes lui
permettent de donner au soleil et au repos, la frêle charpente abandonnée que le chasseur de chamois revêt à
son tour d'un toit de paille et de murs de peaux de bêtes, bordent des rues plus longues que le bourg, parce
qu'elles sont étroites et tortueuses. Sur une place où l'on ne voit plus aujourd'hui que les vestiges d'une grosse
tour, s'élevait alors l'ancienne forteresse bâtie par Horda le Fin-Archer, seigneur de Loevig et frère d'armes du
roi païen Halfdan, et occupée en 1698 par le syndic du bourg, lequel en eût été l'habitant le mieux logé, sans la
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Han d'Islande
cigogne argentée qui venait tous les étés se percher à l'extrémité du clocher pointu de l'église, pareille à la
perle blanche au sommet du bonnet aigu d'un mandarin.
Le matin même du jour où Ordener était arrivé à Drontheim, un personnage était débarqué, également
incognito, à Loevig. Sa litière dorée, quoique sans armoiries, ses quatre grands laquais armés jusqu'aux dents,
avaient soudain fait le sujet de toutes les conversations et de foutes les curiosités. L'hôte de la Mouette d'or,
petite taverne où le grand personnage était descendu, avait pris lui-même un air mystérieux et répondait à
toutes les questions: Je ne sais pas, d'un air qui voulait dire: Je sais tout, mais vous ne saurez rien. Les grands
laquais étaient plus muets que des poissons, et plus sombres que les bouches d'une mine. Le syndic s'était
d'abord renfermé dans sa tour, attendant dans sa dignité la première visite de l'étranger; mais bientôt les
habitants l'avaient vu avec surprise se présenter deux fois inutilement à la Mouette d'or, et le soir épier un
salut du voyageur appuyé sur sa fenêtre entrouverte. Les commères inféraient de là que le personnage avait
fait connaître son haut rang au seigneur syndic. Elles se trompaient. Un messager expédié par l'étranger s'était
présenté chez le syndic pour y faire viser son droit de passe, et le syndic avait remarqué sur le grand cachet de
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