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homme choisi de Dieu pour sa délivrance ; mais bientôt elle a vu cet homme arrêté
par la fortune dans sa brillante carrière, et elle en est toujours à attendre, presque
mourante, celui qui pourra fermer ses blessures, faire cesser les pillages et les
saccagements que souffre la Lombardie, mettre un terme aux exactions et aux
Nicolas Machiavel (1515) Le Prince 81
vexations qui accablent le royaume de Naples et la Toscane, et guérir enfin ses plaies
si invétérées qu'elles sont devenues fistuleuses.
On la voit aussi priant sans cesse le ciel de daigner lui envoyer quelqu'un qui la
délivre de la cruauté et de l'insolence des barbares. On la voit d'ailleurs toute
disposée, toute prête à se ranger sous le premier étendard qu'on osera déployer devant
ses yeux. Mais où peut-elle mieux placer ses espérances qu'en votre illustre maison,
qui, par ses vertus héréditaires, par sa fortune, par la faveur de Dieu et par celle de
l'Église, dont elle occupe actuellement le trône, peut véritablement conduire et opérer
cette heureuse délivrance.
Elle ne sera point difficile, si vous avez sous les yeux la vie et les actions de ces
héros que je viens de nommer. C'étaient, il est vrai, des hommes rares et merveilleux;
mais enfin c'étaient des hommes ; et les occasions dont ils profitèrent étaient moins
favorables que celle qui se présente. Leurs entreprises ne furent pas plus justes que
celle-ci, et ils n'eurent pas plus que vous ne l'avez, la protection du ciel. C'est ici que
la justice brille dans tout son jour, car la guerre est toujours juste lorsqu'elle est
nécessaire, et les armes sont sacrées lorsqu'elles sont l'unique ressource des opprimés.
Ici, tous les vSux du peuple vous appellent; et, au milieu de cette disposition
unanime, le succès ne peut être incertain: il suffit que vous preniez exemple sur ceux
que je vous ai proposés pour modèles.
Bien plus, Dieu manifeste sa volonté par des signes éclatants : la mer s'est
entrouverte, une nue lumineuse a indiqué le chemin, le rocher a fait jaillir des eaux de
son sein, la manne est tombée dans le désert ; tout favorise ainsi votre grandeur. Que
le reste soit votre ouvrage : Dieu ne veut pas tout faire, pour ne pas nous laisser sans
mérite et sans cette portion de gloire qu'il nous permet d'acquérir.
Qu'aucun des Italiens dont j'ai parlé n'ait pu faire ce qu'on attend de votre illustre
maison; que, même au milieu de tant de révolutions que l'Italie a éprouvées, et de tant
de guerres dont elle a été le théâtre, il ait semblé que toute valeur militaire y fût
éteinte, c'est de quoi l'on ne doit point s'étonner : cela est venu de ce que les anciennes
institutions étaient mauvaises, et qu'il n'y a eu personne qui sût en trouver de
nouvelles. Il n'est rien cependant qui fasse plus d'honneur à un homme qui commence
à s'élever que d'avoir su introduire de nouvelles lois et de nouvelles institutions : si
ces lois, si ces institutions posent sur une base solide, et si elles présentent de la
grandeur, elles le font admirer et respecter de tous les hommes.
L'Italie, au surplus, offre une matière susceptible des réformes les plus univer-
selles. C'est là que le courage éclatera dans chaque individu, pourvu que les chefs n'en
manquent pas eux-mêmes. Voyez dans les duels et les combats entre un petit nombre
d'adversaires combien les Italiens sont supérieurs en force, en adresse, en intelligence.
Mais faut-il qu'ils combattent réunis en armée, toute leur valeur s'évanouit. Il faut en
accuser la faiblesse des chefs ; car, d'une part, ceux qui savent ne sont point
obéissants, et chacun croit savoir; de l'autre, il ne s'est trouvé aucun chef assez élevé,
soit par son mérite personnel, soit par la fortune, au-dessus des autres, pour que tous
reconnussent sa supériorité et lui fussent soumis. Il est résulté de là que, pendant si
longtemps, et durant tant de guerres qui ont eu lieu depuis vingt années, toute armée
uniquement composée d'Italiens n'a éprouve que des revers, témoins d'abord le Taro,
puis Alexandrie, Capoue, Gênes, Vailà, Cologne et Mestri.
Nicolas Machiavel (1515) Le Prince 82
Si votre illustre maison veut imiter les grands hommes qui, en divers temps,
délivrèrent leur pays, ce qu'elle doit faire avant toutes choses, et ce qui doit être la
base de son entre prise, c'est de se pourvoir de forces nationales, car ce sont les plus,
solides, les plus fidèles, les meilleures qu'on puisse posséder : chacun des soldats qui
les composent étant bon personnellement, deviendra encore meilleur lorsque tous
réunis se verront commandés, honorés, entretenus par leur prince. C'est avec de telles
armes que la valeur italienne pourra repousser les étrangers.
L'infanterie suisse et l'infanterie espagnole passent pour être terribles ; mais il y a
dans l'une et, dans l'autre un défaut tel, qu'il est possible d'en former une troisième,
capable non seulement de leur résister, mais encore de les vaincre. En effet,
l'infanterie espagnole ne peut se soutenir contre la cavalerie, et l'infanterie suisse doit
craindre toute autre troupe de même nature qui combattra avec la même obstination
qu'elle. On a vu aussi, et l'on verra encore, la cavalerie française défaire l'infanterie
espagnole, et celle-ci détruire l'infanterie suisse ; de quoi il a été fait, sinon une
expérience complète, au moins un essai dans la bataille de Ravenne, où l'infanterie
espagnole se trouva aux prises avec les bataillons allemands, qui observent la même
discipline que les Suisses : on vit les Espagnols, favorisés par leur agilité et couverts
de leurs petits boucliers, pénétrer par-dessous les lances dans les rangs de leurs
adversaires, les frapper sans risque et sans que les Allemands puissent les en
empêcher ; et ils les auraient détruits jusqu'au dernier, si la cavalerie n'était venue les
charger eux-mêmes à leur tour.
Maintenant que l'on connaît le défaut de l'une et de l'autre de ces deux infanteries,
on peut en organiser une nouvelle qui sache résister à la cavalerie et ne point craindre
d'autres fantassins. Il n'est pas nécessaire pour cela de créer un nouveau genre de
troupe ; il suffit de trouver une nouvelle organisation, une nouvelle manière de
combattre ; et c'est par de telles inventions qu'un prince nouveau acquiert de la répu-
tation et parvient à s'agrandir.
Ne laissons donc point échapper l'occasion présente. Que l'Italie, après une si
longue attente, voie enfin paraître son libérateur! Je ne puis trouver de termes pour [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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